RESERVEZ VOTRE INITIATION GRATUITE

« Tout ne passe pas sur tout » Voilà ce que me répétait avec sagesse mon professeur Marc Deroitte. En Aikido, il est évident qu’une seule technique ne peut convenir à toutes les situations. Reproduire l’entièreté du catalogue sur toutes les saisies et attaques est un exercice intéressant, mais certaines techniques seront toujours plus adaptées que d’autres.

Alors pourquoi réaliser cet exercice ? Quelle valeur y-a-t ’il à répéter des formes que nous savons inefficaces ? C’est ce que nous allons explorer dans cet article.

Pourquoi utiliser un catalogue ?

Lorsque l’on commence la pratique de l’Aikido, on apprend généralement à réaliser toutes les techniques de base à partir de deux fondamentales : Ikkyo et Shiho Nage.

A partir de ces deux formes, il est facile pour l’enseignant d’expliquer les différentes caractéristiques de chaque immobilisation ou projection. Ces détails, une fois assimilés, permettent au débutant de reconnaître les différentes techniques. Et ce, même s’il ne comprend pas encore comment le choix entre ikkyo et nikyo est réalisé.

Le programme Bushin

Le programme est un outil pédagogique, il peut servir de carnet de note !

Plus tard, le pratiquant apprendra que certaines techniques sont plus faciles sur une saisie ou une autre. La clé de nikyo est naturelle à partir de katate dori, celle de sankyo à partir d’ushiro ryo te, etc.

Avec l’expérience, le pratiquant peut se contenter de choisir une spirale, uchi ou soto, la technique adaptée se présentant d’elle-même !

Mais pour arriver à ce résultat, il sera nécessaire de faire le tri entre techniques efficaces et simples exercices. Attardons-nous d’abord sur quelques cas techniques qui ne laisseront aucun doute.

1) Les techniques qui fonctionnent toujours

Certaines techniques d’Aïkido sont efficaces, peu importe la situation dans laquelle elles sont appliquées. Ce sont les projections les plus versatiles comme Koshi Nage ou Kokyu Nage, celles avec beaucoup d’entrées ou qui permettent de rattraper un échec comme hiji kime osae à partir de nikyo.

Sans surprise, ces techniques sont aussi celles que l’on retrouve dans d’autres arts martiaux.

Morihiro Saito et Jigoro Kano démontrant des variantes de Koshi Nage

Koshi à partir de shiho nage et Uki Goshi

2) Les techniques de circonstance

Viennent ensuite les techniques qui peuvent être efficaces selon le contexte. Celle que le pratiquant choisit en fonction de la situation : un adversaire qui pousse au lieu de tirer, qui plie le bras au lieu de le tendre, qui se tourne vers l’intérieur ou l’extérieur. Selon la situation, le pratiquant se laisse guider ou choisit la technique la plus adaptée.

Ces techniques seront celles qui nécessite l’application des principes d’Aïkido, principalement irimi-tenkan. Elles découleront naturellement les unes des autres selon les réactions de l’adversaire. C’est pour cette raison qu’elles n’apparaîtront presque jamais dans d’autres arts martiaux : en faisant une spirale et un déplacement d’Aïkido, le pratiquant aura naturellement le choix, par exemple, entre shiho nage si l’adversaire tend son bras, et kote gaeshi s’il le plie. Ces deux techniques ne se présenteraient pas à un judoka qui, tirant et poussant le bras et le col d’un adversaire, menace la jambe de son adversaire avec Ko Uchi gari pour ensuite rentrer quand il la recule et enchaîner avec Uchi mata.

L’application de ces techniques requiert de la pratique, peu importe l’art martial. Et cette pratique peut passer par un troisième groupe de techniques.

3) Les outils d’apprentissage

Finalement, nous avons toutes les autres techniques du programme. Celles qui n’ont pas de valeur purement martiale, mais qui restent de l’Aïkido. Certaines, comme Tai no henka ou Aiki Age, sont des exercices évidents.

Morihei Ueshiba démontrant Tai no henka

Ueshiba commençait chaque cours par Tai no Henka

D’autres seront théoriquement possibles mais resteront toujours un mystère pour le pratiquant. Celui-ci se rend compte que même une technique qui lui semblait facile, nikyo sur kosa dori par exemple, peut devenir un véritable calvaire.

Il existe tout un tas de détails techniques permettant de rendre kosa dori nikyo plus efficace et plus fluide. Mais ces détails sont autant de problèmes qui ralentiront tori s’il doit faire face à de multiples adversaires. Pas question de repasser par la base lorsque l’attaque est imminente, il faut réagir vite.

Ainsi, sur kosa dori, il sera bien plus facile de réaliser ikkyo, sankyo ou kote gaeshi. Le pratiquant ne se tournera plus spontanément vers nikyo.

Et pourtant, une partie de son entraînement aura consisté à fluidifier la manivelle qui rend nikyo possible sur kosa dori. Pourquoi avoir passé tant de temps à apprendre un mouvement qui ne lui servira finalement pas ?

La réponse à cette question dépendra de l’élève et de ce qu’il doit encore apprendre des principes de l’aïkido.

Les enseignements des techniques “inutiles”

Nikyo sur kosa dori

Il y a trois manières de travailler nikyo à partir de Kosa dori. La première est de “passer par la base” en commençant la technique avec un ikkyo classique avant de changer de saisie une fois le bras à l’horizontale. En plus de fournir une variation pour continuer à entraîner le début d’ikkyo sans s’ennuyer, cette variante force tori à garder un bon contrôle du bras d’uke au moment où il modifie sa saisie. Cette partie de la technique est un moment critique où uke pourrait essayer de renverser la situation. Il est donc crucial de s’entraîner à garder l’ascendant sur uke dans cette position.

Le revers de cette méthode est qu’elle pousse le débutant à voir nikyo comme une simple variation dans la saisie plutôt qu’une technique différente par son déplacement et les subtiles réactions de l’adversaire.

La deuxième manière est de modifier directement sa prise grâce à un mouvement circulaire fluide sur l’avant-bras du partenaire. Cette manivelle garde une pression à tout moment vers uke et est semblable au mouvement d’uchi Kaiten nage. Dans la rotation d’uchi kaiten, garder la pression vers le visage de l’adversaire jusqu’à la fin du mouvement l’empêche de lâcher prise.

La troisième est de passer directement par une variante. En posant son autre main sur celle d’uke, il suffit de faire la même rotation que précédemment et “couper” avec le tranchant de la main (te-gatana) pour faire descendre uke.

Morihiro Saito montrant une variante de Nikyo sur kosa dori

La main s’enroule ensuite le long du bras comme un serpent autour d’une branche

Rattraper la technique

Dans une autre optique, réaliser une technique comme sankyo à partir de diverses saisies ou attaques permet également de solidifier le contrôle de la clé à plusieurs hauteurs. Les différentes saisies permettent à tori de s’entraîner à “rattraper” la technique à divers moments. Même s’il n’applique finalement la technique qu’à partir d’un nombre limité de situations. Le résultat est une clé de bras plus solide dont l’adversaire s’échappera moins facilement.

Cet entraînement peut être ciblé par le professeur. S’il est attentif aux faiblesses dans la technique de ses élèves, il pourra travailler directement sur le problème. Il lui suffira de choisir les saisies où ces faiblesses sont exacerbées. Par exemple, si ses élèves perdent sankyo quand uke se redresse, travailler quelque temps sur yokomen uchi pourrait aider les élèves à trouver une position solide même si le bras est en haut.

Pour cette raison, il serait une erreur de se concentrer uniquement sur les techniques qui fonctionnent le mieux. Cela reviendrait à se priver d’un panel énorme d’outils d’apprentissage. Cependant, je pense que les élèves doivent apprendre, à un moment de leur parcours, quelles sont les techniques qui fonctionnent le mieux dans quels cas. Cette découverte peut parfois être naturelle, mais seulement si l’élève est encouragé à faire ses propres recherches en la matière !

L’idéal est que cette recherche se fasse lorsque le pratiquant a connaissance d’au moins la chorégraphie de l’ensemble du catalogue. Encore faut-il que ce catalogue soit suffisamment limité pour ne pas se perdre. Il lui faudra ensuite faire le tour de chaque technique et en tirer ses propres conclusions, qu’il testera bien sûr lors des entraînements sur les tatamis !

Les limites du riai

Si nous avons vu qu’il n’est pas avisé d’appliqué aveuglément les mêmes mouvements sur toutes les situations à mains nues, il en va de même lorsque l’on passe aux armes.

Morihiro Saito, qui a codifié les katas au ken et au jo dans notre style d’aïkido, accordait beaucoup d’importance au riai entre le travail aux armes et les techniques à mains nues. Il est en effet aisé de se rendre compte que les mouvements des suburis au jo par exemple, correspondent parfaitement aux mouvements utilisés sur diverses techniques.

Que ce soit shomen uchi et shiho nage, ushiro tsuki et kokyu ho, hashi no ji gaeshi et ikkyo sur tsuki ou encore hasso gaeshi ushiro uchi et les techniques sur ushiro ryo te dori, toutes ces similarités font que l’art martial reste cohérent. Même si les outils utilisés datent d’une autre époque, ils ont de la valeur tant que leur pratique est bénéfique une fois de retour à mains nues.

Mais attention cependant à ne pas tomber dans une simple reproduction de mouvement. Chaque outil a ses caractéristiques propres[1] et une distance différente. Le riai ne se trouvera plus dans les détails, mais dans les déplacements et dans l’esprit. La finale des 5 kumi tachi par exemple, oblige le pratiquant à avancer dans la trajectoire de la lame de l’adversaire afin de couper et dévier l’adversaire d’un seul coup. C’est une leçon importante en termes de principe, mais répéter le même mouvement (shomen sur yokomen) à mains nues n’avancera pas beaucoup tori dans son combat.

Pourquoi tant de techniques ?

Le curriculum de l’aïkido, s’il est moins subdivisé que celui du Daito ryu avec plus de 3000 techniques individuelles[2], reste un répertoire immense. Mais notre rôle est-il de préserver ces nombreuses formes traditionnelles, ou simplement de les voir comme des outils d’apprentissage menant chaque pratiquant vers son propre système avec quelques techniques préférées (Tokui waza) ?

La balance entre ces deux options est un choix que fait chaque courant d’aïkido. Au sein de Bushin ce choix est résumé dans notre programme. Mais par-dessus tout, il faut que chaque professeur ne trompe pas ses élèves et rappelle inlassablement que… tout ne passe pas sur tout.

Hayano Wasuke Tsunenari (membre des 47 ronins) transperce un coffre avec sa lance, par Utagawa Kuniyoshi en 1847

Hayano Wasuke Tsunenari (membre des 47 ronins) transperce un coffre avec sa lance, par Utagawa Kuniyoshi en 1847

[1] Voir l’article 4 principes pour une frappe puissante.

[2] Pour plus d’informations sur le curriculum du Daito-ryu n’hésitez pas à visiter le blog de Guillaume Erard. https://www.guillaumeerard.fr/daito-ryu-aiki-jujutsu/fiches-techniques/organisation-technique-du-daito-ryu/